Historique

         A quelques exceptions près les « cahiers de doléances », rédigés avant la réunion des Etats Généraux, proclament que le catholicisme est la religion du royaume et doit le rester. Les rédacteurs des cahiers ne contestent nullement l’autorité de l’Eglise et parlent même avec sympathie des curés des paroisses. Des réformes sont cependant demandées : fin des privilèges fiscaux, des droits seigneuriaux, des dîmes, meilleure répartition des revenus ecclésiastiques par limitation des richesses des évêques et attribution d’un traitement décent aux prêtres des paroisses, remise en ordre du clergé régulier, en particulier suppression de la commende et fermeture des abbayes dépeuplées. Seuls 25 cahiers, sur plus de 1.300, demandent des mesures anticléricales comme la suppression des vœux monastiques prônée par les philosophes.

 

         Cependant la composition des Etats-Généraux allait amener rapidement aux mesures extrêmes. Aux côtés d’adversaires résolus de l’Eglise Catholique, agnostiques, déistes, anticléricaux, on trouve parmi les députés catholiques de nom, ou même de vie, des personnes plus ou moins gagnées aux idées des philosophes et de la « libre pensée ». Parmi les croyants sincères on trouve des députés se rattachant au jansénisme, au richerisme, et au gallicanisme, tous courants de pensée sourdement hostiles à Rome et au Pape et favorables à une domination de l’Etat sur la Religion.

 

I / EVOLUTION DE LA CRISE RELIGIEUSE :
 

1789

Mai 1789 :
le 4 : Procession solennelle du Saint-Sacrement dans les rues de Versailles pour l’ouverture des Etats Généraux.

Juin 1789 :
le 13 : trois curés poitevins rejoignent le Tiers Etat, suivis d’une douzaine d’autres les jours suivants.
le 17 : proclamation de l’Assemblée Nationale.
le 19 : par 149 voix contre 138 la Chambre du clergé vote la réunion au Tiers Etat.
le 26 : le Haut Clergé rejoint le Tiers Etat.

Juillet 1789 :  
le 9 : L’Assemblée Nationale prend le nom d’Assemblée Constituante.

Août  1789 :   
le 4 : dans la nuit le Clergé abandonne dîme et privilèges.
le 20 : l’Assemblée nomme un « Comité ecclésiastique » pour l’étude des propositions concernant la religion. Il est composé de 15 membres 2 évêques, 3 curés, 2 députés de la noblesse, 2 magistrats et 6 avocats.

Octobre  1789 :
le 28 : l’Assemblée décide que « l’émission des vœux dans tous les monastères est suspendue ».

Novembre 1789 :    
le 2 : par 568 voix contre 346, l’Assemblée adopte un décret  mettant les biens du clergé « à la disposition de la Nation, à charge de pourvoir, d’une manière convenable, aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres ».
décembre 1789    
le 22 : l’Assemblée crée les départements et adopte un décret enlevant aux évêques la surveillance de l’éducation publique et la confiant aux administrations départementales.

1790

Février 1790 :
le 7 : le Comité ecclésiastique est porté à 30 membres ; sur les 15 nouveaux un seul est opposé aux réformes radicales, les autres sont acquis aux principes d’où sortira la Constitution civile du clergé. Peu après, 9 membres du comité démissionnent, refusant d’endosser la responsabilité des réformes proposées ; le Comité, réduit à 21 membres, forme dés lors un groupe homogène.
le 13 :adoption du décret supprimant les vœux dans tous les monastères. Des officiers municipaux doivent aller demander à chaque membre des communautés religieuses s’il désire sortir ou rester. Il est prévu que les partants recevront une indemnité pour vivre, et que les religieux fidèles seront regroupés, tous ordres confondus, dans quelques maisons conservées, les autres étant vendues.
Certains ordres masculins seront très touchés par les défections, d’autres pratiquement pas. Par contre dans les ordres féminins la fidélité sera quasiment unanime.

Mars 1790 :
le 29 : dans une allocution consistoriale, le Pape Pie VI manifeste son inquiétude en présence  des principes de la Révolution et des projets de la Constituante en matière religieuse.

Juillet 1790 :
le 12 : l’Assemblée vote la loi portant réorganisation de l’Eglise en France dite  « Constitution Civile du Clergé » créant pratiquement une Eglise anglicane.  « Vous êtes payés par l’Etat, vous êtes ses fonctionnaires, vous n’avez qu’à obéir! »  (Mirabeau)
le 28 : le Roi écrit au Pape pour lui faire part de ses difficultés en présence de cette loi.

De juillet à octobre 1790: aliénation totale des biens du clergé.

Août 1790     
le 24: face aux très fortes pressions de l’Assemblée, les 2 évêques ministres, Mgr  de Pompignan et Mgr de Cicé, conseillent au Roi de signer la loi pour épargner le pire au clergé français et de représenter au Pape qu’il peut seul éviter le schisme en donnant des formes canoniques aux réformes nouvelles, Sans réponse du Pape, Louis XVI promulgue la loi d’organisation de l’Eglise en France.
septembre 1790
le 20 : bref du Pape conjurant Louis XVI de s’opposer à la loi du 12 juillet.

Octobre 1790
à la fin du mois le premier évêque constitutionnel est élu à Quimper.

Novembre 1790
le 15 : décret prescrivant qu’en cas de refus par le métropolite de donner la confirmation canonique à un nouvel évêque, on aura recours à deux notaires.
le 27 : loi contraignant tous les « prêtres fonctionnaires » à prêter le serment de « maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblées et acceptée par le Roi » ; ceux qui refuseraient seront tenus pour démissionnaires de leurs fonctions et remplacés ; s’ils continuent à les exercer, ils seront considérés comme perturbateurs de l’ordre public et rebelles.
le 28 : Environ un tiers des prêtres députés prêtent le serment. Les autres refusent.

Décembre 1790     
le 26 : sans réponse de Rome, Louis XVI ratifie la loi sur le serment.

1791

Janvier 1791 :     
le 2 : publication de la loi du 27 novembre sur le serment. 7 évêques sur 160 prêtent le serment; les prêtres « jureurs » ou « assermentés » et les non jureurs « insermentés » ou « réfractaires » seront en nombre variable selon les paroisses et les diocèses (dans un diocèse, par exemple, il n’y eut que 3 réfractaires).
    Les motifs poussant les prêtres à prêter le serment sont très divers (intérêt personnel, désir d’empêcher leur remplacement par des prêtres schismatiques, approbation de réformes correspondant à leurs idées, etc.; certains jureurs n’acceptant pas toutes les réformes prêtent serment avec des restrictions dont ils demandent l’inscription au procès verbal.
Des religieux non tenus au serment le prêteront volontairement, d’autres feront part de leur opposition.
De nombreux jureurs se rétracteront dans les mois suivants au reçu de lettres de leurs évêques ou quand sera connue la position du Pape ; il ne restera dès lors comme jureurs, qu’un peu moins de la moitié des prêtres.
L’Eglise de France va petit à petit se trouver coupée en deux: une Eglise constitutionnelle séparée du Pape et une Eglise fidèle au Pape qui sera progressivement obligée d’entrer dans la clandestinité. Dans sa grande majorité, la population reste attachée à l’Eglise fidèle au Pape, et manifeste le plus grand mépris pour les prêtres assermentés.

Février  1791:    
le 5 : additif à la loi du 27 novembre étendant l’obligation du serment aux prédicateurs.

Mars 1791
le 10 :  dans un bref adressé aux évêques, le Pape déclare schismatique la Constitution Civile, demande des renseignements exacts et ne ferme pas la porte à la négociation.
date non précisée : Louis XVI remplace l’Abbé Poupard, son confesseur, assermenté, par le père Hébert, eudiste, qui sera parmi les martyrs des Carmes

Avril 1791    
le 7 : dans plusieurs quartiers de Paris les chapelles sont envahies par des émeutiers ; prêtres et fidèles sont insultés et molestés. De tels incidents se reproduiront plusieurs fois au cours du mois.
le 11 : le Directoire départemental de la Seine arrête que les insermentés ont droit au culte dans des locaux loués par eux à condition d’apposer à la porte une inscription approuvée par le Directoire et qu’on n’y entende aucune attaque contre la Constitution et les autorités établies.
le 13 : dans un nouveau bref le Pape fait connaître que tout jureur qui ne se rétractera pas dans les 4 jours est menacé de suspense, que les élections paroissiales et épiscopales sont nulles, les consécrations sacrilèges et les évêques consécrateurs suspendus. Il adresse par ailleurs des paroles d’encouragement et de charité aux prélats, prêtres et laïcs fidèles.
En dépit de la police, les brefs se répandent rapidement dans toute la France.
Le 17  : sous la pression d’émeutiers l’église des Théatins, louée par des insermentés, est fermée par décision administrative. Mise en circulation d’un pamphlet du club des Cordeliers : « La grande trahison du Roi des Français », Louis XVI y est accusé d’avoir communié des mains d’un prêtre insermenté se montrant par là « réfractaire aux lois du Royaume ». Louis XVI, convalescent, veut se rendre à Saint-Cloud pour y passe un certain temps, comme en 1790 ;  on est le lundi de la semaine sainte, les révolutionnaires prétendent donc qu’il veut quitter Paris pour faire ses Pâques des mains d’un prêtre insermenté ; une émeute est organisée et le carosse est empêché de quitter les Tuilleries.

Mai 1791
le 2 : le Pape est brûlé en effigie à Paris après un simulacre de procès.
le 7  : l’Assemblée reprend à son compte l’arrêté du 11 avril du Directoire de la Seine.

Juin 1791    
le 2 : des émeutiers se présentent à l’église des Théatins et troublent la messe dite par un prêtre insermenté. Ils renversent l’autel et les « accessoires ».
le 20 :  le Roi et la famille royale quittent Paris pour échapper à la pression des émeutiers et gagner Montmédy (fuite de Varennes). Louis XVI laisse un message à l’Assemblée dans lequel il proteste contre tout ce  qui avait été fait et imposé depuis son départ forcé de Versailles. Il déclare que toutes les signatures qu’il avait données depuis cette date étaient nulles puisque contraintes. Il fait part, entre autres, de son intention de rétablir la religion.

Septembre  1791:    
le 14 : le Roi accepte la Constitution du Royaume.
le 20 : l’Assemblée Constituante se sépare.

Octobre 1791
le 1er : L’Assemblée Législative se réunit pour la première fois.
le 17 : fermeture des Grands Collèges de Théologie.

Novembre  1791
le 29 : loi prévoyant que les prêtres insermentés seront inscrits sur la liste des suspects et qu’ils pourront être éloignés du lieu de leur résidence s’ils sont soupçonnés de causer quelque trouble, sans préjudice des poursuites qui pourraient leur être intentées.

Décembre 1791
le 19 : Louis XVI fait connaître son intention d’user de son droit de veto pour la loi du 29 novembre.

1792

Mars 1792    
le 12 : Pie VI excommunie les prêtres jureurs.

Avril 1792
Le 20 : déclaration de guerre à l’Autriche. L’Europe, jusque là indifférente à la situation politique et religieuse en France, feint d’entreprendre une croisade contre les révolutionnaires athés ; les catholiques français fidèles au Pape font, de ce fait, figure de rebelles à la loi et de traîtres à la Patrie.
Le 28 : décret d’interdiction du costume religieux. Décret de suppression de toutes les congrégations. Défaite aux frontières. L’anticléricalisme est de plus en plus virulent.

Mai 1792 :     
le 27 : loi permettant la « déportation » (c’est à dire l’exil) au delà des frontières des prêtres insermentés.
 
Juin 1792    
le 6 : Louis XVI, usant de son droit de veto, refuse de signer le décret du 27 mai en même temps qu’un autre décret convoquant à Paris 20.000 gardes nationaux
le 20 :  les Tuileries sont envahies par les émeutiers aux cris de « A bas le veto! Mort aux prêtres ! » le Roi refuse de faire « le sacrifice de son devoir ». Il retourne la situation à son profit.

Juillet 1792    
le 17 : à la  suite de mouvements de foule contre la municipalité de Paris, la Garde Nationale Soldée, aux ordres de Pétion, tire sur la foule rassemblée au Champ de Mars pour signer une pétition réclamant la déchéance du Roi.
le 25  : Manifeste de Brunswick menaçant Paris de destruction si le moindre outrage est fait à la famille royale.

Août 1792
le 1er : le manifeste de Brunswick est connu à Paris.
le 2 : :les fédérés marseillais annoncent, dans une adresse à l’Assemblée Nationale, qu’ils ont décidé de rester à Paris pour « défendre les patriotes »
nuit du 9 au 10  : une commune insurrectionnelle, menée par Marat, Chaumette et Hébert et derrière laquelle se trouve Danton, prend à Paris la place de la commune légale. Elle se donne tous les pouvoirs d’administration et de police. Elle imposera ses volontés à l’Assemblée.
Le 10 : conduits par les « Marseillais » des émeutiers s’emparent des Tuileries, Le Roi et sa famille sont conduits au Temple. Dans la soirée la commune de Paris transmet aux sections les listes d’insermentés.
Nuit du 10 au 11 : lancement par la Commune insurrectionnelle de Paris des ordres d’arrestation des prêtres réfractaires en application de la loi du 27 mai
le 11 : arrestation de Monseigneur du Lau, archevêque d’Arles, de ses vicaires généraux et de ses domestiques (qui seront libérés plus tard). Ils sont emprisonnés aux Carmes. D’autres « rafles » de prêtres se poursuivront jusqu’au 2 septembre.
le 13 : le Roi est suspendu de ses fonctions. Un « Comité exécutif provisoire » prend le pouvoir
le 17 : création du Tribunal Criminel Extraordinaire, le Tribunal Révolutionnaire, dont le premier juge est Robespierre. Il a pour charge d’éliminer tous les adversaires (réels ou supposés) de la Révolution.
le 14 : décret sur le serment de fidélité à la liberté, dit le « petit serment »
le 23 : Brunswick, prend Longwy.
le 26  : la nouvelle de la chute de Longwy et de la menace qui pèse sur Verdun arrive à Paris. Le clergé réfractaire et les nobles sont systématiquement présentés comme des traîtres, alliés des émigrés et des ennemis.
le 28 : Danton, ministre de la Justice, ordonne des perquisitions chez tous les « suspects ». Elles sont confiées aux 48 Sections de la Commune.

Pendant ce temps, en Normandie, dans le Limousin, en Provence, des prêtres sont massacrés. A Paris, l’Assemblée multiplie les mesures anticléricales et les décrets de déchristianisation : annulation du vœu de Louis XIII, ordre de fondre les bronzes et les ors des églises, répétition de l’interdiction du port de l’habit ecclésiastique, de l’ordre de suppression des congrégations qui pourraient subsister, renforcement de la loi de déportation des prêtres insermentés prévoyant de les envoyer en Guyane, s’ils ne franchissent pas la frontière.
    
II / Les arrestations
    
   Dés l’arrestation du Roi le 10 août 1792, le décret du 27 mai est considéré comme exécutoire et le soir même la Commune communique aux sections des listes de prêtres réfractaires  aux fins d’arrestations. La chasse aux réfractaires commence et va se poursuivre tout le mois.

    Le 11 août en fin de matinée, Monseigneur du Lau, particulièrement visé pour sa courageuse attitude à la Constituante, est arrêté en même temps que son vicaire général, les deux neveux de celui-ci et ses serviteurs (qui seront relâchés peu après). Dans la journée les arrestations continuent et, en fin de journée, Monseigneur du Lau et 46 prêtres se retrouvent à la section du Luxembourg. Après un interrogatoire sommaire, ils sont enfermés le soir même dans l’église des Carmes transformée en dépôt : on leur donne du pain et de l’eau et ils couchent à même le pavage, avec un garde à côté de chacun d’eux pour interdire toute conversation.

    Le 13 août, c’est au tour de l’évêque de Beauvais d’être arrêté ; son frère, l’évêque de Saintes, qui n’avait pas à prêter serment, son diocèse étant supprimé, demande à le suivre ; ils sont tous deux conduits dans l’église des Carmes. Le même jour, ce sont tous les prêtres résidant à Saint-Firmin qui sont arrêtés et maintenus sur place, une sentinelle est placée à l’entrée du séminaire avec consigne de laisser entrer tout le monde et ne laisser sortir personne. Dans l’après-midi les prêtres et les professeurs laïcs de la Maison des Nouveaux Convertis sont amenés à Saint-Firmin au milieu des hurlements et des insultes, ils sont incarcérés dans les chambres des deux galeries du bâtiment neuf. On déclare aux prisonniers que c’est pour assurer leur protection qu’ils sont incarcérés.

    Le 15 août, dans l’après-midi, une cinquantaine de volontaires lorientais armés, conduits, par un nommé Lazowski dit Le Foudroyant, envahissent les différentes maisons religieuses d’Issy. Ils arrêtent les professeurs et les séminaristes du séminaire Saint-Sulpice d’Issy et 10 pensionnaires, pour la plus part âgés et infirmes,  de la Maison Saint-François-de-Sales et  les conduisent à la pension de l’Abbé Dubourg ; le maire d’Issy, alerté, se rend sur place et essaye de démontrer que ces arrestations sont contraires au décret sur la déportation des prêtres. Un « particulier vêtu d’un pantalon et veste bleu, décoré d’un hausse col, sans dire son nom et qualité » présente deux papiers dont il lit les premiers mots sans présenter le reste et déclare qu’il n’y a plus de loi qui puisse l’arrêter. Le maire, trouvant les esprits échauffés et disposés à en venir aux mains avec la force armée de sa commune, ne croit pas prudent d’opposer toute l’autorité de la loi à cette démarche violente. Il obtient tout de même que trois des prêtres, les plus âgés, soient libérés.
    A la tombée de la nuit, vingt huit prêtres et séminaristes, en habit ecclésiastiques, puisque pris dans l’intérieur de leurs maisons, sont alors emmenés à Paris. Ils sont précédés du Foudroyant à cheval et de deux canons, avec accompagnement de tambours, escortés par des hommes armés qui poussent des cris de mort  et obligent les vieillards infirmes à marcher plus vite à grands renforts de coups. Au bout d’une marche de près de 5 kilomètres, à 11 heures du soir, ils sont enfermés dans l’église des Carmes.

    Le 16 août  au matin, le Bataillon de Vaugirard arrête les prêtres insermentés et les séminaristes des maisons de campagne des collèges de Laon et des Robertins situées dans ce village. Ils sont conduits sous les cris et huées, par la rue de Sèvres, à la section de la Croix Rouge qui siégeait dans l’église des Prémontrés (à l’angle des rues de Sèvres et du Cherche-Midi) ; là, après plusieurs heures d’attente sans manger, vers 3 heures et demie du matin, les séminaristes reçoivent l’ordre de rentrer dans leur famille, les prêtres sont conduits dans l’église des Carmes.
    Les rafles continuent systématiquement par établissement religieux ou par rue et chaque jour de nouveaux prêtres sont arrêtés et conduits aux dépôts de Saint-Firmin et des Carmes ou dans les prisons de l’Abbaye et de La Force.

    Le 28 août  Danton, ministre de la justice, ordonne à toutes les Sections d’effectuer des visites domiciliaires chez tous les suspects. Du 29 au 30 août les barrières de Paris sont fermées, pendant que des patrouilles vont de maison en maison. Des milliers d’aristocrates, bourgeois, et prêtres insermentés, accusés d’êtres conspirateurs et traîtres à la Patrie, sont arrêtés et conduits dans les différentes prison de Paris.
    Les dernières arrestations de prêtres auront lieu le 2 septembre dans la matinée, ils seront conduits directement à l’Abbaye et massacrés devant la porte.

    Pendant ce temps les rumeurs courent bon train : on a vu des prêtres tirer sur les patriotes le 10 août, on a trouvé des armes cachées dans un presbytère de banlieue, un condamné sur le point d’être exécuté a révélé un vaste complot dans les prisons, en liaison avec les nobles restés chez eux et visant à poignarder dans le dos les patriotes qui tenteraient de s’opposer à la progression de l’ennemi.
    La peur s’installe dans la population, les meneurs ont beau jeu de remuer les foules. Les journaux révolutionnaires appellent au meurtre, comme « L’Ami du Peuple » du 19 août  dans lequel Marat écrit  : « Avant de voler aux frontières, il faut être sûr de ne laisser derrière soi aucun traître, aucun conspirateur… Le plus sûr parti est de se porter en armes à l’Abbaye, d’en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses et leurs complices et les passer au fil de l’épée. »
    Le 28 août ce sont des affiches qui proclament  « il faut que le peuple juge lui-même les grands procès des conspirateurs« .
    
III / La vie dans les prisons.

   La chapelle des Carmes et le séminaire Saint-Firmin ne sont pas des prisons à proprement parler, ce sont des « dépôts » dans lesquels les prêtres sont retenus en attente de leur déportation. Le régime officiel des prisons ne leur est pas obligatoirement applicable et le règlement intérieur en vigueur est celui fixé par les Sections dont ils dépendent. Il n’y a pas de registres d’écrou mais un simple cahier d’enregistrement des entrées tenu par le concierge.

Aux Carmes

    Les premiers jours les prisonniers doivent dormir à même le pavage de l’église ou sur les quelques chaises qui se trouvent là .Il est ensuite permis, à ceux qui en ont les moyens, de se procurer lit de sangles et paillasse. Les fidèles du quartier sont autorisés à apporter aux prêtres ce qui leur est nécessaire : lit, linge, nourriture. Un traiteur apporte régulièrement des repas, des fidèles payant pour les prêtres démunis. Toute la nourriture, même les bouillons destinés aux malades, est soigneusement fouillée au sabre par les gardes.
    Les détenus sont confinés dans l’église, sans possibilité d’en sortir ; de très nombreux gardes y séjournent aussi.  Au bout de quelques jours le médecin de la Section obtient, pour éviter les risques d’épidémie, que les prisonniers sortent dans le parc une heure le matin et une heure l’après-midi pendant qu’on tente d’aérer l’église en brûlant des herbes fortes et des liqueurs spiritueuses. Selon le caprice des gardes cette sortie s’effectue tous ensemble ou par moitié. Des gardes dans chaque allée limitent les parties du jardin où la promenade est autorisée. Des appels nominatifs ont lieu avant et après chaque sortie.
    Les visites venant de l’extérieure sont également autorisées à certaines heures, sous contrôle des gardes. Elles se poursuivront jusqu’au 2 septembre au matin.
    La garde est relevée chaque jour, mais presque tous les jours les gardiens insultent le pape, qu’ils traitent, entre autres, d’antéchrist, et les prisonniers ; Monseigneur du Lau est tout particulièrement visé, mais, aux provocations, il oppose calme et sérénité.
    La nuit, le repos n’est pas toujours facile à prendre, les gardes sont toujours présents dans l’église, bruyants et grossiers, et c’est en général en pleine nuit, dans un grand tapage, que sont amenés les nouveaux prisonniers. Ils seront ainsi 160 (dont 8 ou 9 laïcs), ce qui posera quelques problèmes pour étendre les matelas et obligera à en replier un grand nombre dans la journée.
    Bien qu’il ne leur soit pas permis de célébrer la messe, même le dimanche, les prisonniers organisent leur vie religieuse. Comme ils n’ont pu apporter que peu de bréviaires, ils se repartissent  en trois groupes sous la direction des évêques : après la prière commune du matin, « un tiers vaquait à l’oraison, l’autre tiers à la récitation de l’Office ou à la lecture, les autres prenaient les exercices d’une récréation modeste et paisible qui ne troublaient aucunement ceux que la piété occupait alors ».
Lors de la sortie dans le jardin, ils sont nombreux à se réunir dans l’oratoire de la Sainte Vierge (à l’emplacement du 102 de la rue de Rennes actuelle).

A Saint-Firmin

    Les prêtres qui résidaient dans le séminaire restent dans leur chambre, les prêtres arrêtés à l’extérieur sont enfermés dans les différentes chambres de deux bâtiments réparties sur plusieurs galeries. Les premiers jours les consignes sont draconiennes : la circulation dans une galerie est autorisée dans la journée, mais interdite la nuit et défense est faite de passer d’une galerie à une autre, à l’exclusion du personnel de service : une sentinelle armée d’une pique ou d’un fusil à baïonnette est placée à chaque extrémité des galeries, et au milieu de chacune d’elle il y a un garde, sabre au clair. Puis ces règles s’assouplissent et dans la journée les prêtres peuvent tous se réunir pour des lectures en commun, par exemple ; ils peuvent recevoir des visites venant de l’extérieur, mais toujours en présence d’un commissaire ; ils n’ont cependant pas la libre circulation dans tous les bâtiments, autorisée seulement à deux ou trois d’entre eux, pour les besoins du service. La section  des Sans-Culottes (anciennement du Jardin des Plantes) occupe d’ailleurs une partie des bâtiments.
    Comme aux Carmes tout le courrier et les objets parvenant aux prisonniers sont contrôlés, même une simple bouteille d’eau.
    

A La Force et à l’Abbaye

    Il s’agit là de prisons. La Force est prison de droit commun depuis quelques années, pour l’Abbaye c’est un peu différent : l’ancienne prison abbatiale est passée depuis plusieurs années sous l’autorité civile et reçoit les prisonniers militaires, c’est donc tout naturellement que les officiers et les sous officiers des gardes suisses y sont amenés après le 10 août ; comme la prison est trop exiguë pour contenir tous ces nouveaux détenus, une partie des bâtiments conventuels est annexée à la prison, la section des Quatre-Nations tenant ses assises dans le bâtiment des hôtes
    Le régime dans ces deux endroits est celui qui existait normalement à l’époque dans les prisons. Les détenus sont logés normalement  dans des chambres à 6 ou 8, mais à l’Abbaye ils occupent aussi des locaux plus vastes comme des réfectoires ou des chapelles où ils sont jusqu’à 80. Ils bénéficient d’une relative liberté : les chambres sont ouvertes le matin  à 7 h (à la Force les guichetiers sont suivis de 2 gros chiens), liberté de circulation dans les bâtiments et les cours pendant la journée. Le soir, à 8 h. les guichetiers (toujours suivis de leurs chiens à la Force) font rentrer tout le monde dans les chambres et les verrouillent. Les prêtres sont logés dans des chambres qu’ils partagent avec les laïcs incarcérés le même jour qu’eux. Ils ne peuvent, bien sûr, célébrer la messe, mais conservent leur bréviaire.
    Dans leurs prisons, les ecclésiastiques discutent de la question du serment de liberté-égalité, les uns, irréductibles, considèrent qu’il ne peut être prêté, le mot « liberté  » pouvant sous entendre une forme d’acceptation de la Constitution civile du clergé ; les autres pensent qu’il ne contient aucune adhésion à la constitution schismatique et donc que rien ne s’oppose à sa prestation  s’il permet de sauver sa vie. D’une prison à l’autre on s’interroge, et on interroge l’Abbé de Salamon, internonce, qui transmet à Rome le 17 août une demande des détenus des Carmes sur la licéité de ce serment (la réponse ne partira de Rome que le 5 septembre : il y a lieu de surseoir à toute décision jusqu’à ce qu’on ait une explication authentique du mot « liberté » employé par les législateurs ; Le Pape craint qu’on ait voulu par ce mot tout autre chose que la liberté purement civile “cette crainte est constatée par tout ce que vous m’écrivez, écrit le Cardinal Secrétaire d’Etat, qu’il est certain qu’on veut l’anéantissement de toute religion”. .

IV / Les massacres

     Le 1er septembre, le bruit court que les Prussiens ont investi Verdun et l’ont sommé de se rendre.

    Le 2 septembre au matin, la Commune fait placarder dans Paris un appel aux armes, il prévoit la fermeture des barrières, l’ordre de marche pour Verdun de tous les hommes valides, le désarmement des suspects et de ceux qui refuseraient de marcher ; il ordonne de tirer le canon d’alarme et de battre la générale dans toutes les sections, les membres du conseil général doivent retourner dans leurs sections respectives et « y annonceront les dispositions du présent arrêté, y peindront avec énergie à leurs concitoyens les dangers imminents de la Patrie, les trahisons dont nous sommes environnés ou menacés ».
    A la section du Luxembourg, dans l’église Saint-Sulpice, on délibère. Un membre propose qu’avant de partir aux frontières on se débarrasse des individus détenus dans les prisons et en particulier des prêtres détenus aux Carmes ; plusieurs membres, dont Violette, accueillent, tout d’abord, cette proposition avec réticence. Un autre membre, Carcel, horloger, propose alors qu’une commission soit désignée pour traduire devant les tribunaux ceux qui avaient des faits à leur charge ; cette nouvelle proposition est violemment combattue par les partisans des solutions extrêmes et finalement  « la motion d’un membre de purger les prisons en faisant couler le sang de tous les détenus de Paris avant de partir, les voix prises, elle est adoptée ». Trois commissaires ont été nommés … pour aller à la ville communiquer, afin de pouvoir agir d’une manière uniforme. » La section Poissonnière, de son côté, adopte une motion semblable « que tous les prêtres et personnes suspectes enfermés dans les prisons de Paris, d’Orléans et autres seront mis à mort ».  Elle le fait connaître à celle du Luxembourg. Carcel, redoutant ce qui allait arriver, se rend auprès du commandant Tanche, de la Garde Nationale , pour qu’il rassemble le plus grand nombre possible de citoyens afin de protéger les prisonniers qu’on veut attaquer, mais en vain, il n’est pas entendu.
    En ville, dans le bruit du canon et de la générale, on dresse des estrades aux carrefours pour recueillir les enrôlements ; de nombreux attroupements se forment, les esprits s’échauffent. En début d’après-midi, on sonne le tocsin à tous les clochers de Paris, ce n’est « point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la Patrie » dit Danton qui dans le même discours annonce qu’une partie du peuple va se porter aux frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième avec des piques défendra l’intérieur de nos villes. »
    Dans les prisons, depuis le matin, les détenus sentent que quelque chose se prépare : les gardes sont renforcées, on sert le repas plus tôt, on fouille les détenus avec un soin tout particulier on leur enlève beaucoup d’objets en particuliers leurs couteaux, des traiteurs, comme à la Force, se font payer les repas plus tôt qu’à l’accoutumé. Aux Carmes la sortie du matin est supprimée, mais les visiteurs extérieurs restent autorisés.

    C’est alors que commencent vers 15 heures les massacres, menés d’abord d’une façon anarchique par quelques individus, à l’Abbaye et aux Carmes, puis, dans ces deux mêmes prisons, à partir de 16 heures environ d’une manière plus organisée après l’arrivée de « commissaires » qui contrôlent les identités et opèrent un certain tri des victimes. Ils dureront 5 jours faisant entre 1243 et 1411 victimes.
    A l’Abbaye, sous la « présidence » de Maillard, ils dureront jusqu’au 4 septembre en fin de matinée (180 morts env. dont 21 prêtres sur 238 prisonniers dont  29 prêtres), aux Carmes, avec Violette, ils cesseront vers 18 heures faisant 116 morts sur 162 à 172 prisonniers. Vers 21 heures c’est à la Conciergerie que commencent les massacres qui dureront  9 heures  (275 morts env. sur 500 détenus) ; vers minuit c’est au tour des prisons de la Force (165 morts env. dont 3 prêtres, sur 408 détenus – ils dureront jusqu’au 7 septembre au matin) et du Châtelet (220 morts env. sur 269 détenus, tous de droit commun – ils cesseront le 3 septembre vers 4 heures du matin). Le 3 septembre à partir de 5 heures 30 et pendant environ deux heures les tueurs s’attaquent aux détenus du séminaire Saint-Firmin (77 morts, tous prêtres, sauf 4 laïcs suivant volontairement leur sort, sur 91 ou 93 détenus). A 8 heures, aux Bernardins, à coté de Saint-Firmin, les tueurs massacrent, 73 forçats sur les 75 qui y étaient détenus en instance de transfert sur le bagne, les accusant d’être des prêtres déguisés. Dans l’après-midi du 3 septembre, c’est au tour de Bicêtre (asile de vieillards, maison de correction et prison pour mendiants, vagabonds et droits commun), ils cessent à la nuit pour reprendre en fin de matinée le 4 et se terminer vers 15 heures (165 morts env., dont 43 enfants de 12 à 17 ans, sur 411 prisonniers et pensionnaires ), puis à 17 heures le même jour les tueurs arrivent à la Salpêtrière, prison-hospice pour femmes (35 victimes  sur 270 détenues)

Devant  L’Abbaye

    Vers deux heures de l’après-midi un convoi d’une demi-douzaine de fiacres escortés de fédérés marseillais et bretons, transporte à l’Abbaye, 24 ou 25 personnes, en majorité des prêtres réfractaires, arrêtées la veille au soir ou le matin même et rassemblées à la Mairie (dans l’île de la Cité). Les cochers ont l’ordre de rouler très lentement sous peine d’être massacrés sur leurs sièges. Tout en leur assenant coups de sabre et de pique, les fédérés ne cessent de répéter aux prisonniers qu’ils n’arriveront pas jusqu’à l’Abbaye, le peuple auquel ils vont les livrer se fera justice de ses ennemis et les égorgera sur la route. Par le Pont Neuf, et la rue Dauphine le convoi arrive au carrefour de Bucy où se dresse une estrade d’enrôlement, la foule est nombreuses, les cris redoublent, les fédérés disent à ceux qui les entourent : “Voici vos ennemis. Voilà nos sabres et nos piques : donnez la mort à ces monstres ». C’est la ruée sur les voitures plusieurs des passagers sont blessés, certains très grièvement, on vit un jeune homme vêtu d’une robe de chambre blanche, blessé, descendre de la dernière voiture et être achevé sur place. Le convoi ne s’est pratiquement pas arrêté et parvenant à l’Abbaye pénètre dans la première cour (parvis actuel, à peu près devant le square). A peine le convoi est il arrêté que deux des passagers sont assommés au pied des voitures, les autres sont poussés vers le bâtiment des hôtes où siège le comité de la section des Quatre-Nations;  ils sont tous massacrés, à l’exclusion de cinq d’entre eux dont l’abbé Sicard, instituteur des sourds muets, et un avocat de Metz, arrivé à Paris depuis quelques jours pour affaires;  pour assurer leur sécurité, les rescapés sont installés à la table de la Section, une plume à la main. Le massacre à duré entre une demie heure  et une heure, il y a dix neuf morts. Une certaine accalmie se produit alors à l’Abbaye.

Aux Carmes

    Le 31 août, Manuel, commissaire de la Section vient annoncer aux détenus que le décret de déportation leur sera signifié le dimanche 2 et qu’on leur rendra la liberté pour qu’ils puissent se mettre en devoir d’obéir à la loi et gagner la frontière. Les prêtres qui le peuvent font venir argent et vêtements en bon état pour le voyage.

    La matinée du 2 septembre  se passe comme à l’ordinaire dans les exercices de la piété chrétienne. Vers midi, on entend battre la générale et gronder le canon d’alarme. Mais cela inquiète moins les détenus que  la mauvaise garde de ce jour là. Pendant le repas un officier de garde dit aux prêtres : “lorsque vous sortirez, on vous rendra à chacun ce qui vous appartient”
    La promenade habituelle est différée puis, finalement, annoncée vers 3 heures ; contrairement aux usages les prêtres âgés, malades ou infirmes sont obligés de sortir.
    Dans le jardin la garde est doublée et toute composée de gens armés de pique; la chapelle de la Vierge est fermée, mais sur intervention de l’évêque de Saintes, elle est rouverte et plusieurs prêtres s’y rendent.  

     Vers 16 heures, les détenus entendent de grandes clameurs au voisinage ; et peu de temps après, un groupe de forcenés apparaît aux fenêtres menaçant de leurs piques. Certains qu’ils vont être massacrés les prêtres se donnent l’absolution l’un à l’autre. Les gardes disparaissent  et les tueurs. entrent dans le jardin armés de fusils à baïonnettes, de piques et de pistolets. Ils massacrent le premier qu’ils rencontrent, l’abbé Girault qui lisait son bréviaire près du bassin; l’abbé Salins qui se trouvait à proximité se précipite pour s’interposer mais est abattu d’un coup de fusil. Puis ils se précipitent dans le jardin en réclamant l’archevêque d’Arles. Les prêtre qui entourent Mgr du Lau veulent le cacher mais lui leur répond que puisque c’est lui qui est recherché il ne seront apaisés que quand il l’auront trouvé. Un des tueurs devance les autres et vient au devant du groupe entourant Mgr du Lau “Es-tu l’Archevêque d’Arles ?  — Oui, je le suis, répondit-il calmement. — C’est donc toi qui a fait répandre tant de sang à Arles. — Moi? Je ne sache pas avoir fait du mal à personne. — Scélérat!,  Je vais t’en faire à toi ! “ Et aussitôt, il lui décoche  un grand coup de sabre sur la tête. A ce premier coup, Mgr du Lau joint ses mains et s’en couvre le visage et, sans faire la moindre plainte, il est mis à mort. Un second assassin vient encore enfoncer sa pique dans le corps de la victime ; il lui  arrache sa montre et l’a présente à ses camarades d’un air content et satisfait.
    Les tueurs se précipitent alors vers  la petite chapelle de la Vierge du jardin, et déchargent leurs fusils  et leurs pistolets. Mgr de la Rochefoucauld, évêque de Beauvais, est blessé à la jambe
    Plusieurs prêtres escaladent le mur de clôture. L’un d’eux, l’abbé Gallais, renonce à fuir et revient partager le sort de ses compagnons, il est alors blessé d’un coup de feu à la jambe ; 5 ou 6 autres parviennent à s’échapper. Dans le jardin, le « parc aux cerfs » disent les tueurs, la « chasse » continue, plusieurs prêtres sont blessés à coups de feu et achevés à l’arme blanche.
    Le massacre dure depuis une quinzaine de minutes quand des fenêtres on crie “Arrêtez! C’est trop tôt; ce n’est pas ainsi qu’il faut s’y prendre!” Violette, commissaire de la Section, accompagné de 12 à 20 hommes , entre alors dans le jardin et ordre est donné aux prisonniers de rentrer dans l’église. Toujours excités les tueurs continuent de tirer des coups de fusils. Quand il pense que tous les rescapés ont pu rentrer dans l’église Violette fait fermer la porte du perron, mais les abbés Martin et Grayot de Kéravenant, sont encore à l’extérieur, ils escaladent un appentis, se réfugient dans les combles de l’allée menant de la maison aux lieux communs. Ils y restent jusqu’à 7 h et demie le lendemain matin, « entendant tous les coups sans qu’aucun cri ait été poussé par les victimes »
    Enfermés dans l’église, les détenus entendent encore des coups de feux dans le jardin; ils sont entassés dans le chœur, la nef leur étant interdite. Deux des détenus, l’abbé Leturc et le frère Istève parviennent à se cacher dans l’escalier menant à la chaire et échapperont ainsi au massacre ; un autre se cache sous des matelas (pris d’éternuements il sera découvert vers 21 heures et massacré).
    Rentrés dans l’église les prêtres, au milieu des hurlements, se  prosternent au pied du crucifix qui y restait, seul et unique signe religieux qui n’avait pas pu être enlevé. .Brusquement les forcenés font silence, c’était Mgr de la Rochefoucauld qu’on portait avec assez d’humanité. On le place sur un lit ,où son frère l’évêque de Saintes. Vient le rejoindre . Puis les forcené recommencent cris, insultes et menaces.
    C’est alors que  parait un commissaire de la Section qui implore les droits de l’humanité faveur des détenus. Mais il met si peu de chaleur et d’intérêt dans son discours qu’il n’eut aucun succès.
    Dès qu’il fût sorti de l’église, on ordonne  aux prêtres de cesser les prières et de se lever. Un des tueurs leur demande alors d’un ton menaçant : “Avez vous prêté le serment ?” Il lui est répondu, que pas un des détenus n’avait prêté ni ne prêterait ce serment,. “C’est égal, allons, passez, passez, votre compte est fait. »
    Deux par deux les prêtres sont appelés et, sortant par la chapelle de la Vierge, il passent dans le petit corridor menant au jardin, sont poussées vers le petit perron où ils sont massacrés à coup de sabres, de piques et d’outils agricoles. Les corps sont traînés et entassés au pied d’un if proche.  
    L’évêque de Beauvais appelé à son tour, dans les derniers, fait remarquer qu’il ne peut marcher et demande de l’aide, il est alors soutenu humainement par des gardes qui le conduisent jusqu’au perron.
    Des gardes nationaux réussissent à soustraire plusieurs prêtres au massacre, deux d’entre eux sont conduits à l’extérieur par leurs sauveurs, les abbés Saurin et Letellier ; l’Abbé de La Pannonie est invité à profiter de l’invasion de l’église par une foule de pillards et de badauds pour se mêler à elle et gagner la sortie. D’autres enfin sont regroupés sous garde armée pour être jugés à la Section.
    Aux environs de 18 heures les massacres cessent, et les 30 derniers prisonniers, dont 8 laïcs, sont conduits sous escorte à la Section, ils seront relâchés les jours suivants.
    En arrivant à la Section, après le massacre, un des commissaires dit :”Je ne comprend pas ces gens, ils allaient à la mort comme on va à un mariage !“
    Toute la nuit on entend des chants et des cris dans le jardin. Le lendemain matin  la section du Luxembourg confie à Daubanel, son secrétaire, le soin de faire enterrer les cadavres. Dès le matin du 3 septembre deux grands chariots sont amenés dans le jardin, et, remplis d’une quinzaine de corps chacun, les emportent au cimetière de Vaugirard là les corps sont déposés dans une fosse commune creusée en face de la petite porte du milieu, et recouverts de chaux.. Les autres corps sont jetés dans un puits du jardin près de l’angle des rues d’Assas et  de Coëtlogon actuelles. Ce puits sera retrouvé en 1867, lors du percement de la rue de Rennes et les ossements de 90 corps environ retirés et analysés seront déposés dans la crypte de l’église des Carmes.

A  l’Abbaye

    Le repas est servi plus tôt qu’à l’accoutumé, le guichetier qui le sert a un « air effaré, ses yeux hagards nous firent présager quelque chose de sinistre » (Journiac de St Méard). Après le repas les détenus entendent des cris, ce sont ceux qui accompagnent le massacre des passagers des fiacres.
    Aux environs de 17 heures, Maillard arrive à l’Abbaye et installe son « tribunal » dans le bâtiment des hôtes. Des hommes vont chercher les détenus, pièce par pièce en commençant par celles où se trouvent des officiers et les sous-officiers des gardes suisses  et les amènent devant le tribunal. Après un très bref interrogatoire d’identité et quelques explications éventuelles du détenu la sentence tombe:  “Conduisez Monsieur à la Force !”. Le condamné est alors poussé dans la cour et immédiatement abattu à l’arme blanche. Très vite les détenus apprennent ce qui se passe et les prêtres se confessent l’un à l’autre. Vers 18 heures on vient leur annoncer que tous les prêtres des Carmes ont été massacrés. A cette poignante nouvelle les détenus se jettent aux genoux de l’Abbé Royer et tous ensembles, ecclésiastiques et laïcs, lui demandent l’absolution in articulo mortis.  L’Abbé Royer récite ensuite les prières des agonisants.
    Vers minuit les prêtres sont conduits dans la salle des hôtes. En tête de file l’Abbé Royer. L’interrogatoire est court, comme tous ceux du reste qui suivront : “As-tu prêté le serment ? demande le président. Avec  le calme de la bonne conscience l’abbé répond: “Non, je ne l’ai pas prêté.” Un tueur lui assène aussitôt  un coup de sabre sur la tête, qui fait sauter sa perruque . Les coups redoublent  sur la tête et sur le corps  et bientôt l’abbé Royer est étendu à terre ; les tueurs le tirent dehors et reviennent quelques instants après en criant  :”Vive la Nation !”. Ce fut ensuite le tour de l’Abbé du Bouzet. Qui, à la question de président répond d’une voix faible  “Je ne l’ai pas prêté”. On crie :”Enlevez le!” Aussitôt plusieurs assassins le poussent dehors dans le jardin. . Le  massacre de ce groupe de prêtres dure jusque vers 4 heures du matin le 3 septembre.
    N’étant pas avec les autres ecclésiastiques les abbés Lenfant et Chapt de Rastignac ne sont pas compris dans ces premiers massacres et mettent le temps à profit pour accomplir leur ministère auprès des détenus .
    « Le lundi 3  à dix heures, l’abbé Lenfant, confesseur du roi et l’abbé de Chapt-Rastignac,
parurent dans la tribune de la chapelle qui nous servait de prison, et dans laquelle ils étaient entrés par une porte qui donnait sur l’escalier. Ils nous annoncèrent que notre dernière heure approchait, et nous invitèrent à nous recueillir pour recevoir leur bénédiction. Un mouvement électrique, qu’on ne peut définir, nous précipita à genoux ; et les mains jointes, nous la reçûmes. Ce moment quoique consolant, fut un des plus………! que nous ayons éprouvés. A la veille de paraître devant l’Etre Suprême, agenouillés devant deux de ses ministres, nous présentions un spectacle indéfinissable. L’âge de ces deux vieillards, leur position au dessus de nous, la mort planant sur nos têtes et nous environnant de toutes parts : tout répandait sur cette cérémonie une teinte auguste et lugubre ; elle nous rapprochait de la divinité ; elle nous rendait le courage ; tout raisonnement était suspendu, et le plus froid et le plus incrédule en reçut autant d’impression que le plus ardent et le plus sensible. Une demi-heure après ces deux prêtres furent massacrés, et nous entendîmes leurs cris !  » (Jourgnic de St Méard).
    Après les massacres, les corps dévêtus sont emportés en tombereau et jetés dans les carrières de la Tombe-Issoire.

A  la Force

    A quatre heures de l’après-midi, le 2 septembre, les guichetiers appellent des prisonniers, sous prétexte de les inviter à se faire inscrire pour aller combattre à la frontière ; cet appel dure jusqu’au soir et on dit aux prisonniers que ceux qui ne rentrent pas ont été transférés dans une autre maison d’arrêt. Il s’agissait en fait d’un certain nombre de détenus pour dettes ou de militaires incarcérés pour indiscipline, remis en liberté sur ordre du Conseil Général de la Commune.
    Ces appels se poursuivent dans la soirée dans un grand bruit de verrous ouverts ou fermés.
    A 20 heures les portes des chambres sont fermées comme à l’accoutumé. Inquiets les détenus ont du mal a trouver le sommeil.
    C’est à minuit que commencent les massacres. Comme à l’Abbaye, on appelle nominativement les prisonniers qui, escortés de gardes armés de sabres, de fusils ou simplement de bûches, sont conduits dans le bureau du concierge où ils comparaissent devant un « tribunal”. Après un semblant d’interrogatoire le président prononce le verdict : un acquittement au cri de “Vive la Nation !” ou une condamnation à mort :
    Le prisonnier que les juges n’ont pas condamné, est saisi par quatre brigands. Celui qui préside aux massacres le conduit, criant et ordonnant au prisonnier de crier comme lui: “Vive la Nation!” Ils arrivent ainsi jusqu’au guichet de la prison. Là sont les tueurs. Au nombre d’une soixantaine, ils forment une haie prolongée jusqu’à l’extrémité de la rue, fermée un tas de cadavres. Le chef des tueurs paraissant le premier au guichet, tient son sabre levé, son chapeau sur la pointe du sabre. Il répète le cri de “Vive la Nation ! Grâce au bon citoyen !” A ces mots la double haie des bourreaux et des spectateurs s’ouvre. La populace qui assiste à ce spectacle dans la rue, aux fenêtres et jusque sur les toits, fait retentir le même cri, jusqu’au moment où, toujours précédé du chef des Marseillais, et tenu par quatre gardes, le prisonnier arrive prés du tas de morts. Il est alors lâché par ses gardiens. Le chef se poste devant lui et la main étendue sur les cadavres, prononce le serment de fidélité à la liberté. Il se fait un grand silence. Si le prisonnier répète le serment, les derniers bourreaux lui ouvrent le passage, et il est libre.. S’il se tait ou refuse de répéter le serment, ceux là mêmes qui l’ont conduit le tuent, et son corps et son corps est jeté sur de cadavres Certains des libérés sont reconduits chez eux au milieu des acclamations, d’autres sont amenés à l’église de Culture-Sainte Catherine à quelques distances de là et connue sous le nom de dépôts des innocents.
    Par contre, si le prisonnier est condamné, il sort le premier ; dès qu’il franchit le seuil, cinq « travailleurs », munis de lourdes bûches, l’assomment, les « déblayeurs » tirent le cadavre jusqu’au caniveau à l’angle de la rue des Ballets (Malher, actuelle) de la rue Saint Antoine, le déshabillent et le jettent sur les cadavres précédents.
    Peu après l’assassinat de la princesse de Lamballe, la prison de la Force offre une scène semblable à celle des Abbés Lenfant et de Rastignac, bénissant leurs compagnons de captivité. Les abbés Bertrand de Moleville, frère de l’ancien ministre, Bottex et de Lagardette, se lisent les prières des agonisants, s’exhortent à pardonner à leurs bourreaux, prient pour eux et se donnent l’absolution. Le notaire Guillaume l’aîné et un garde national, convertis tout à coup, quoique étant du nombre de ces tueurs assistent à cette scène, à genoux aux pieds des trois prêtres et partagent le bienfait de la réconciliation.
    Trois prêtres subissent le martyr, les autres soit prêtent le serment demandé, soit réussissent à s’évader dans l’excitation qui accompagne la mort de la Princesse de Lamballe.
    Comme à l’Abbaye les corps des victimes sont chargés sur des tombereaux et inhumés dans les carrières.

A Saint-Firmin

      Au matin du 2 septembre les détenus ne se doutent de rien et pourtant M. Henriot, commandant du bataillon des Sans-Culottes, leur avait dit deux fois d’un ton féroce qu’ils étaient des scélérats et qu’ils périraient tous. Mais la publicité qu’il avait mise à tenir ce propos leur avait fait croire qu’on ne voulait que les effrayer.
    A 8 heures du soir le même jour, l’abbé Boulangier, Procureur du Séminaire, qui avait une carte pour aller dans la cuisine, est arrêté en s’y rendant par un garçon boucher qu’il ne connaît que de vue et dont le maître ne fournissait pas le séminaire. Cet homme prend le procureur par la main et lui dit en versant des larmes :”Mon cher ami, sauvez vous : on doit vous égorger tous ce soir : mon maître pleure chez lui sur votre sort. Il n’a pas osé venir jusqu’ici pour vous en informer. L’abbé Boulangier ne peut croire à une telle atrocité craint qu’on ne lui tende un piège,. Il va immédiatement en avertir le Supérieur, qui lui aussi considère que ce n’est pas possible; il dit qu’il faut envoyer le domestique s’informer à la Section, qui est assemblée à Saint-Victor, pour savoir s’il y a des craintes à avoir pour le Séminaire. Le procureur retourne à la cuisine, faire la commission dont il est chargé; entrant dans l’office de la dépense il y retrouve le garçon boucher qui se saisit une seconde fois de lui et qui lui renouvelle ses instances pour sortir, en ajoutant que les prisonniers des Carmes ont déjà été égorgés; qu’on va venir au Séminaire et que dans un quart d’heure, il ne serait plus temps d’en sortir. Au même instant arrivent deux autres jeunes gens dont l‘un armé de son fusil avec baïonnette et qui tiennent le même langage l’abbé Boulangier. Celui-ci leur demande :  “Et le corps de garde qui est à l’entrée du séminaire, le comptez-vous pour rien ?” un des trois répond : “Il va venir 4000 brigands sur vous, comment voulez vous que le corps de garde leur résiste ? D’ailleurs, ne comptez pas sur le corps de garde, plusieurs des gardes seront contre vous”. Le Procureur effrayé de ces propos, remonte chez le supérieur rendre compte de son entretien avec ces hommes ; il ajoute que l’on n’a aucune nouvelle de la Section et que le boucher le presse vivement de s’en aller. Le Supérieur prend alors ses dispositions pour sortir.
    Le Procureur se rend au bâtiment vieux rapporter à un prisonniers  son chapeau qu’il avait laissé dans une chambre du bâtiment neuf, puis descend une troisième fois à la cuisine où il retrouve ses libérateurs. Le boucher le saisit de nouveau et lui fait promettre de sortir ; les trois ensemble, lèvent les obstacles que le Procureur voyait à passer devant le corps de garde où il est connu. Il s’avance, il passe au milieu des Sans-Culottes qui arrivent au Corps de Garde, (c’était pour des patrouilles de nuit). Dans la rue, il prend le boucher par le bras ; veut mettre un louis d’or dans la main de son sauveur qui le refuse en disant qu’il ne veut rien et qu’il est trop heureux de lui avoir sauvé la vie. Le Procureur l’embrasse, le remercie et le prie de courir au Séminaire avertir ses confrères de sa fuite et des motifs  qui l’ont forcé de fuir…..
    Pendant la nuit du 2 au 3 septembre, 4 personnes sur 90 environ qui étaient au Séminaire Saint Firmin, parviennent les unes à sortir en sautant par dessus des murs et des toits, les autres en se cachant dans de vieux greniers où elles demeurèrent deux jours sans oser se montrer et sans aucun secours.
    Geoffroy Saint-Hilaire raconte qu’il réussit à faire passer 8 à 10 personnes avec une échelle de l’autre coté du mur qui séparait le séminaire du Collège de Cardinal Lemoine.
    Outre l’Abbé Boulangier, les abbés de Langres et Gomer, Chevillard et Leforestier, s’échappent avant le massacre ; un autre prêtre, l’Abbé Adam est sauvé par un nommé Vallé qui l’avait réclamé.
    C’est le 3 à 5 h 1/2  du matin, que les tueurs arrivent à Saint-Firmin; ils commencent par parcourir les bâtiments rassemblant tous ceux qu’ils rencontrent. Ils libèrent 5 prêtres pour lesquels ils avaient semble-t-il des ordres : ce sont MM Lhomond, professeur émérite du Collège du Cardinal Lemoine, de Létang, Lafontan, prêtres de Saint-Nicolas, Bouchard et Desmoulins, prêtres de la même communauté de Saint-Nicolas  c’est là la « preuve que tous ces massacres ont bien été médités avant leur exécution ». dit l’abbé Boulangier, qui ajoute : « j’ai appris à Londres qu’ils avaient été décidés le vendredi précédent au Comité de surveillance de la Municipalité de Paris ».
    Pendant cette fouille du bâtiment on propose à M. Gros, curé de St Nicolas du Chardonnet, de le cacher dans un endroit du Séminaire où on ne le trouverait pas. Il répond : “le peuple sait que je suis là, il bouleversera la maison, ceux qui seront cachés seront égorgés avant moi, il vaut mieux que je sois sacrifié et que les autres soient épargnés”.
    Les tueurs veulent faire sortir leurs victimes dans la rue pour les massacrer en public des protestations les en empêchent, ils rentrent donc. Voulant le sauver des personnes conduisent Monsieur François, Supérieur du Séminaire, au Comité de la Section qui siégeait alors dans le bâtiment ; les Administrateurs font tous leurs efforts pour le soustraire à la rage de ses bourreaux, mais tout est inutile : on fait remarquer qu’il n’est pas compris dans la liste de ceux qui doivent être épargnés. On le précipita par la fenêtre dans la rue où des femmes, armées de massues avec lequel on bat le plâtre, l’achèvent.
    Les massacres commencent alors à l’intérieur des bâtiments, non sans des scènes édifiantes : M. Pottier continue à prêcher ses bourreaux tant qu’il a un souffle de vie. Un des maîtres d’école de la Pitié demande le temps de réciter un Pater, on le lui refuse. Plusieurs prêtres sont précipités par les fenêtres et sauvagement achevés sur le pavé, comme l’Abbé Caupène, qu’on prend tremblant de fièvre dans son lit et qu’on jette par la fenêtre de sa chambre ou l’Abbé Gros, dont la tête est coupée et promenée dans le quartier .
    Les cadavres de la rue sont enlevés le jour même et, dévêtus, sont emportés aux carrières de la Tombe-Issoire. Il faudra attendre trois jours pour qu’on enlève ceux qui étaient dans les bâtiments, après avoir récupéré leurs vêtements ; en même temps on procédait à l’inventaire de leurs chambres et on y posait les scellés.

V / EXHUMATIONS AUX CARMES

    En 1866, est décidé le percement de la Rue de Rennes, dont le tracé passe au travers du jardin des Carmes et nécessite la destruction de la chapelle des martyrs et du puits dans lequel ont été jetés une partie des victimes du 2 septembre. L’archevêché veut sauver les ossements des prêtres martyrs. Le 20 mai 1867, la croix qui recouvre le puits est enlevée et le puits ouvert. on n’y trouve que des os de bœuf, de veau, de mouton et de poulet. Les frères Drouillard, chargés des fouilles, les font donc arrêter et recherchent l’existence éventuelle d’un autre puits dans le jardin. Sur des plans, ils trouvent, à proximité d’un bassin rectangulaire, un autre puits dont il ne subsiste aucune trace visible.
    Le 23 mai, ils ouvrent une nouvelle fouille de recherche et  découvrent le parement extérieur d’un puits comblé et voûté. La voûte est recouverte d’une couche végétale de 40 centimètre d’épaisseur. La voûte étant démolie, les terrassiers trouvent un puits de 1 m 80 de diamètre. A 1 mètre 50 en dessous de la voûte, débouche un petit tuyau de plomb permettant de vidanger le bassin. 30 centimètres plus bas une couche de terre végétale pure. Cette couche de terre enlevée fait apparaître une couche de 30 centimètres d’ossements sur un lit de chaux de 20 centimètres d’épaisseur. Sous le lit de chaux les fouilles font apparaître des ossements sur 2 mètres mélangés à une substance brune. Sous les ossements un remblai de sable et cailloux contenant des débris divers dont une tête d’arbre cassée formant un rameau de 1 mètre, de la vaisselle grossière à la marque des pères carmes, des os de bœuf, de mouton et de poulet, des bouteilles, une lame de couteau des manches de pelle, et « 2 bêches très oxydées et couvertes de fortes agglomérations composées de débris divers dans une masse qui nous parait être en partie du sang coagulé ». En dessous de ce remblai une couche de 40 centimètre de fumier presque pur, puis 3 mètres 80 de terre végétale dans laquelle se trouve de petits ossements, et des débris divers. Le 20 juin, alors que les travaux se terminent, un homme âgé qui ne se fait pas connaître déclare à un ouvrier du chantier que le puits une fois rempli plusieurs corps qui n’avaient pu y trouver place avaient été inhumés dans le voisinage; il  désigne le dessous des marches qui descendaient de la rue d’Assas. Le perron est démoli et les fouilles entreprises ne donnent rien. Le 25 juillet des ouvriers creusant une tranchée pour les fondations d’un mur mettent à jour un crâne : il s’agit d’une fosse de 2 mètres de long sur 1 mètre de large et 1 mètre 50 de profondeur appuyée au puits. Dans cette fosse une couche de 70 centimètres d’ossements en désordre sous une couche de chaux de 20 centimètre recouverte de 60 centimètre de terre végétale.
    Tous les ossements retirés ont été examinés par des médecins qui ont pu déterminer :
pour ceux du puits :
1 – Que le nombre des sujets dont nous avons les restes s’élève à 90 environ
2 – Que sur ces sujets deux au moins appartiennent au sexe féminin (20 à 25 ans)            
3 – Que trois au moins étaient des enfants
4 – Que vingt-quatre de ces sujets portent des traces de blessures qui doivent faire croire qu’ils ont succombé à une mort violente.
5 – Que si une certaine quantité d’ossements retirés d’un cimetière ont été jetés dans le puits, néanmoins la plus grande partie de ce que nous y trouvons vient de corps qui y ont été déposés  entiers, et qu’ainsi l’examen de ces restes confirme la tradition rapportant qu’un certain nombre des victimes des massacres du 2 septembre 1792 ont été ensevelis dans le puits »
    
Pour ceux extraits de la tranchée,
1 – Que ces restes appartiennent à 9 individus
2 – Que sur ces 9 individus, 6 seulement ont été enterrés avec leurs chairs
3 – Que parmi ces derniers, 1 porte la trace de violences auxquelles il a pu succomber
4 – Qu’il est ainsi probable que ces derniers ossements appartiennent aussi à des victimes des massacres du 2 septembre 1792″
    
    Tous les ossements et les débris divers ont été déposés dans la crypte de la chapelle spécialement aménagée pour les recevoir.